Fan de webdocumentaire, je m'étais jusque récemment contenté de l'approcher par la pratique du diaporama sonore. J'avais vu ça chez Mediastorm, à l'époque presque inconnu en France. Je braillais partout qu'il fallait qu'on se lance, que ça n'était pas si difficile après tout, photo plus son, tout le monde pouvait le faire, ajoutez un peu de vidéo et voilà le tout emballé. Mes premières expériences en la matière me confortaient d'ailleurs dans ce point de vue. J'ai fait quelques portfolios sonores qui avaient de la gueule et même une fois en y mélangeant de la vidéo, du texte et des cartes.
DU REPORTAGE...
En réalité, je ne crois pas qu'à l'époque je parlais vraiment de "webdocumentaire", mais plutôt de reportage multimédia. Et à la réflexion en effet c'est plutôt de ça qu'il s'agissait. Beaucoup de gens, ces dernier temps, s'acharnent à avancer la définition la plus pertinente du "webdocumentaire". Je n'en ai pas à proposer et je ne veux pas tracer une frontière entre les genres, mais je peux voir dans ma propre recherche, et à mon petit niveau, une évolution dans la pratique du multimédia. Et là encore, la réalisation d'Africascopie est une étape importante.
Avant de me lancer dans Africascopie j'ai réalisé de nombreux diaporamas sonores. Mis à part le côté technique, je trouve que la réalisation de ce type de format est finalement très proche du reportage classique : aller sur le terrain, interroger des gens, prendre des photos des lieux, des gens, des actions, prendre du son d'ambiance,... finalement il ne s'agit que d'enregistrer sur photo ou sur bande sonore les éléments qu'un reporter papier aurait notés sur son calepin. Le résultat était, je pense, ce qu'on pourrait définir comme le format "magazine" appliqué au web (même sur des sujets chauds d'ailleurs, ça donnait un peu de profondeur).
...AU DOCUMENTAIRE
Et puis il y a le webdocumentaire. Pour réaliser Africascopie, Jean et moi sommes un peu partis la fleur au fusil. Tous les deux avions déjà pas mal bougé (pour notre âge, tout est relatif) en reportage, multimédia ou pas. Et nous avons recueillis les éléments nécessaires au webdoc un peu de la même manière que pour un "gros diaporama sonore". Nous savions bien sûr qu'il faudrait plus de matière : plus de photos avec des plans plus variés, des vidéos en guise de plan de coupe, des vidéos "bonus" aussi, et des interviews qui serviraient d'éclairage en plus du récit linéaire normal, et d'autres éléments, chiffres, cartes, etc que nous recueillerions plus tard. Bref, tout un ensemble de choses que nous n'aurions pas enregistrées pour un simple diaporama-sonore, mais qui ne posaient pas de problème particulier, il suffisait juste d'être plus exhaustifs que d'habitude.
ECRIRE ET REALISER
Mais la vraie différence c'est l'écriture. Avant ou après, dans la préparation ou dans le synopsis et même au montage, on ne raconte pas un documentaire comme un reportage.
Dans le reportage, l'écriture coule de source. Bien sûr, cela nécessite de la recherche, de la nuance, ou parfois au contraire de la vivacité, etc... Mais tout cela découle souvent de l'angle que l'on a choisi. Il y a plus d'unité : on sait de manière plus ou moins évidente d'où l'on part et où l'on va.
Pour le webdoc, c'est autrement plus compliqué : il n'y a pas une seule manière d'écrire un webdoc (comme il n'y a pas une seule manière d'écrire un film), la narration peut-être chronologique, en étoile, chorale, etc... ajoutez à cela les aspects de navigation (la technique quoi) qui jouent aussi sur la manière de raconter l'histoire, et vous comprendrez premièrement que je ne livre pas de "recette magique" de l'écriture de webdoc, et deuxièmement que c'est un sacré job! (Notez que rien n'est dit ici sur la possibilité de faire ça seul ou à plusieurs. On peut très bien imaginer faire ça tout seul, c'est une simple question de temps.)
LE JOURNALISTE SE FAIT REALISATEUR
Sauf que s'il suffisait de prendre ce qu'on a, et de le coller bout à bout en suivant le synopsis que l'on a écrit, ça serait trop simple ! Comme on a désormais écrit une vraie histoire, on se rend compte qu'il va falloir faire coïncider trois matières distinctes pour qu'elles racontent la même histoire : dialogues (ou interviews), images et sons d'ambiance. Et c'est là où on aurait préféré tout écrire à l'avance, ou pour les meilleurs, arriver à y penser sur place pour faire parfois un peu "jouer" les gens : ne serait-ce que leur demander de se rendre à un endroit plus vivant pour raconter leur histoire "dans l'ambiance" ou autre artifice que les gens de la télé connaissent par coeur, mais dont le reporter papier se foutait jusqu'ici pas mal.
En réalité, à ce petit jeu, le journaliste qui veut prendre le spectateur par la main pour l'emmener là où il veut doit se faire réalisateur. Il doit penser à toutes les interactions entre ces trois éléments. Il doit savoir à chaque moment ce que disent l'image, les personnages qui parlent et le son d'ambiance. Et il ne doit pas y avoir de hiatus, sinon l'histoire n'est plus crédible et vous perdez l'internaute. Si dans un film le personnage commence et finit une action en étant habillé différemment, vous ne comprendrez pas. Dans un webdocumentaire, à priori vous pouvez avoir recueilli la matière sur plusieurs jours, mais si ça n'est pas dit, alors on ne comprendra pas pourquoi, entre deux phrases ou deux mouvement, votre personnage à changé de chemise... A ce stade le journaliste réalise son sujet et n'est plus uniquement reporter, dans le sens de "celui qui rapporte".
Bref le webdoc c'est du "storytelling" dans toute sa splendeur, avec ses avantages (si tu arrives à emmèner l'internaute c'est vraiment fort) et ses inconvénients matériels voire éthiques, puisque parfois on exagère ou "élastifie" un peu la réalité pour la rendre plus visible. Mais ça c'est une autre histoire.